L’élection de Donald Trump pour un second mandat présidentiel en 2025 a marqué le retour d’une orientation politique résolument souverainiste, avec une volonté claire de réformer l’engagement fédéral dans les domaines du climat, de l’agriculture, de la santé et du commerce. Dès les premiers jours de sa prise de fonction, des décisions structurantes ont été prises, bouleversant les équilibres établis et redéfinissant les relations entre les États-Unis et leurs partenaires internationaux. Dans cet article, nous analysons les principales mesures ayant un impact direct ou indirect sur l’industrie agroalimentaire mondiale, prises au cours du 1er trimestre de cette nouvelle administration.
Retrait de l’Accord de Paris – 20 janvier 2025
Dès son entrée en fonction, Donald Trump a confirmé le retrait définitif des États-Unis de l’Accord de Paris sur le climat, officialisant une décision qui devait prendre effet en janvier 2026. Cette annonce a immédiatement provoqué des turbulences sur les marchés agroalimentaires mondiaux, les États-Unis étant le deuxième plus grand exportateur agricole après l’Union européenne. Les craintes portent notamment sur l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre liées à l’agriculture intensive américaine (notamment l’élevage et les cultures céréalières), et sur la réduction des investissements dans l’agriculture durable, avec un possible retour en force des pratiques à haut rendement mais peu respectueuses de l’environnement. Un tel recul environnemental risque de créer un fossé réglementaire avec l’Union européenne, qui maintient des normes strictes en matière de pesticides, de bien-être animal et de bilan carbone, ce qui pourrait engendrer des tensions commerciales accrues et des différends à l’OMC. De plus, cette décision pourrait ralentir l’innovation climatique dans le secteur agricole, alors que des géants comme Bayer ou Cargill avaient amorcé un virage stratégique vers des modèles plus durables et bas carbone.
Suspension et Revue de l’Aide Internationale – 20 janvier 2025
L’administration Trump a gelé plusieurs programmes d’aide alimentaire gérés par USAID, affectant directement des millions de bénéficiaires en Afrique subsaharienne, au Moyen-Orient et en Asie du Sud. Parmi les initiatives suspendues figurent les livraisons d’urgence de produits de base comme le blé, le maïs ou l’huile végétale dans des zones en crise humanitaire, ainsi que des projets de développement agricole comme l’irrigation, la distribution de semences résilientes ou la formation technique. Cette suspension a entraîné une augmentation préoccupante de l’insécurité alimentaire dans les régions dépendantes de l’aide américaine, tout en mettant sous tension les chaînes d’approvisionnement humanitaires mondiales. Les agences onusiennes et l’Union européenne ont dû accroître leurs efforts pour compenser, au prix d’une pression budgétaire accrue. Parallèlement, cette vacance d’influence américaine sur les grands enjeux agricoles du Sud a ouvert la voie à la Chine, qui renforce ses positions en Afrique grâce à des projets agricoles intégrés dans sa stratégie des Nouvelles Routes de la Soie.
Arrêt de Programmes Climat au sein de l’USDA – 30 janvier 2025
Le Département de l’Agriculture (USDA) a reçu l’ordre de supprimer toute référence au changement climatique dans ses communications officielles, ses subventions et ses outils d’aide à la décision. Cette directive a conduit à la disparition de données publiques sur l’adaptation des cultures face aux événements climatiques extrêmes, à l’affaiblissement de la recherche agronomique liée aux puits de carbone, aux bioénergies ou encore à la séquestration de CO₂ dans les sols agricoles. Les agriculteurs, en particulier les petites exploitations, se trouvent pénalisés par la perte d’accès à des prévisions climatiques cruciales pour la planification des cultures. À moyen terme, cette orientation pourrait compromettre la compétitivité des filières américaines sur les marchés internationaux, notamment face à des concurrents mieux préparés comme le Canada ou l’Union européenne, qui continuent d’investir dans la résilience climatique.
Tarifs Douaniers sur les Importations Chinoises – 4 février 2025
Dans une logique protectionniste renforcée, les droits de douane sur les produits chinois ont été portés à 145 %, déclenchant immédiatement des mesures de représailles de la part de Pékin, notamment la taxation du soja américain à 15 %, suivie par des restrictions sur le porc et la volaille. Cette escalade tarifaire a conduit à une chute spectaculaire des exportations américaines de soja vers la Chine (-40 % en seulement trois mois), redirigeant la demande chinoise vers des fournisseurs alternatifs comme le Brésil, qui en a profité pour renforcer sa domination sur le marché des oléagineux. Ces tensions ont entraîné une volatilité accrue des cours mondiaux, fragilisant les économies dépendantes des importations agricoles, comme l’Égypte ou le Mexique. Elles pourraient également précipiter une redéfinition des flux commerciaux à l’échelle mondiale, au profit de blocs régionaux plus autonomes.
Gel Temporaire des Financements Agricoles – 7 février 2025
L’USDA a suspendu plusieurs subventions environnementales cruciales, notamment celles soutenant les cultures de couverture, qui jouent un rôle majeur dans la lutte contre l’érosion et la fertilité des sols, ainsi que les programmes de réduction des intrants chimiques. Cette suspension a entraîné un recul immédiat de l’adoption des pratiques régénératives chez les producteurs céréaliers du Midwest. Le signal envoyé aux marchés est également préoccupant, puisque de nombreux investisseurs ESG (Environnement, Social, Gouvernance) ont commencé à réduire leur exposition aux actifs agricoles américains, estimant que les conditions d’investissement durable s’étaient détériorées.
Réduction de Programmes Alimentaires Locaux – Mars 2025
La suppression d’un milliard de dollars initialement alloués aux achats alimentaires locaux destinés aux cantines scolaires et aux banques alimentaires a eu un impact immédiat sur les petits producteurs agricoles, souvent dépendants de ces débouchés stables et institutionnels. Ce recul compromet la dynamique “Farm to Fork”, qui visait à rapprocher les consommateurs des circuits courts et à promouvoir une alimentation plus saine et durable. L’élan pris depuis 2020 pour renforcer la résilience alimentaire locale semble ainsi enrayé, remettant en cause de nombreuses initiatives communautaires.
Réorganisation du USDA et Licenciements Massifs – Avril 2025
La réorganisation du ministère de l’Agriculture s’est traduite par le départ de 5 000 agents, dont de nombreux spécialistes en sécurité sanitaire, en gestion des risques phytosanitaires ou en accompagnement technique. Cette vague de licenciements a conduit à la fermeture de nombreux bureaux régionaux, limitant la capacité de réponse du gouvernement aux crises agricoles, qu’elles soient d’origine sanitaire (pandémies animales) ou environnementale (inondations, sécheresses). À l’international, cette rétraction de l’expertise américaine affaiblit également le poids normatif des États-Unis dans les grandes institutions telles que l’OMC ou la FAO.
Fin de Programmes de Résilience Agricole – 14 avril 2025
L’abandon du programme “Climate-Smart Commodities”, doté d’un budget de 1,5 milliard de dollars, a mis un terme prématuré à de nombreux projets pilotes innovants. Parmi eux figuraient le stockage de carbone dans les sols, l’agriculture de précision low-tech destinée aux pays en développement, ou encore la diversification des cultures à faible impact environnemental. Cette décision risque de priver les agriculteurs américains – et leurs partenaires internationaux – d’outils cruciaux pour faire face aux chocs climatiques à venir.
Délais dans la Règlementation sur la Traçabilité Alimentaire – 26 mars 2025
Le report de l’entrée en vigueur des nouvelles normes de traçabilité prévues par le Food Safety Modernization Act (FSMA) crée des difficultés d’accès au marché européen, où la stratégie “Farm to Fork” impose une transparence accrue tout au long de la chaîne alimentaire. Ce retard réglementaire pourrait nuire à la réputation des produits américains, en particulier sur les segments haut de gamme et biologiques, où les consommateurs exigent une traçabilité irréprochable.
Évolution de la Politique Nutritionnelle et du SNAP – Avril 2025
Les ajustements apportés au programme d’aide nutritionnelle SNAP, qui bénéficie à près de 40 millions d’Américains, ont introduit de nouvelles restrictions sur les produits transformés tout en promouvant le lait entier et la viande bovine, au détriment des alternatives végétales. Cette inflexion pourrait influer sur les habitudes alimentaires des ménages à faibles revenus, tout en redirigeant la demande vers les filières animales. À l’échelle internationale, ces nouvelles priorités nutritionnelles ouvrent des opportunités pour les exportateurs de viande, notamment en Australie et en Nouvelle-Zélande, qui pourraient gagner des parts de marché aux États-Unis.
Conclusion : Un 1er trimestre transformateur
En l’espace de trois mois, l’administration Trump a profondément reconfiguré la politique agroalimentaire américaine, avec des répercussions mondiales. Le recul des engagements environnementaux, le déclenchement de guerres commerciales et la réduction des dispositifs de soutien social et nutritionnel signalent un changement de paradigme. Pour l’industrie agroalimentaire mondiale, ces mutations constituent à la fois des risques et des opportunités, mais elles soulèvent surtout une question essentielle : l’Amérique restera-t-elle un leader du système alimentaire mondial, ou cédera-t-elle sa place à d’autres puissances plus engagées dans la transition écologique et sociale ? Les prochains mois seront décisifs pour voir si ces mesures accélèrent un réalignement des alliances économiques ou aggravent les crises en chaîne.